- NIVELEURS
- NIVELEURSNIVELEURS ou LEVELLERSL’appellation de niveleurs (en anglais levellers ) a été réservée, à partir de 1645, à ceux des révolutionnaires anglais qui, non contents de vouloir éliminer la monarchie encore incarnée par Charles Ier, souhaitaient lui substituer une république où le peuple composé de tous les citoyens adultes serait souverain. Plus que des combattants de la liberté, ils sont des démocrates. Leurs adversaires, qui les baptisèrent, les considéraient comme des «partageux» et pensaient que des hommes sans propriété, s’ils étaient dotés du droit de vote, imposeraient une redistribution des richesses. Accusation alors mortelle, mais qui, au mieux, serait à réserver à un groupuscule qui, derrière Gerrard Winstanley, et entre 1648 et 1652, a agité le drapeau des «vrais niveleurs» ou diggers («bêcheurs») et réclamé effectivement une grande mutation de la propriété foncière et des modes de production.Les niveleurs authentiques ont souvent eu une origine baptiste: soucieux de rapprocher le règne de Dieu ici-bas, ils se muent en activistes révolutionnaires, transposent dans le politique le message religieux de leur secte, leur foi dans l’égalité de tous les hommes, leur tolérance, leur rejet de toute autorité spirituelle. Beaucoup sont imprégnés de l’idée de prédestination et, «saints en marche», tirent de leur foi la conviction qu’ils portent un message divin. Les plus représentatifs sont Richard Overton, un imprimeur, l’un des plus «radicaux», peut-être tenté de déborder du politique et du religieux vers le social; William Walwyn, marchand londonien aisé et qu’on a pu comparer à Lamennais, dont il précède largement l’espoir d’un christianisme appliqué; et surtout John Lilburne, un temps colonel de l’armée de Cromwell, une des grandes victimes de l’intolérance prérévolutionnaire, auteur de vigoureux pamphlets en même temps que redoutable organisateur. Leurs disciples sont surtout recrutés dans les villes, dans un petit peuple dont la Révolution française fera les sans-culottes. Ils auraient représenté vers 1649 un bon quart des Anglais et un cinquième des Londoniens. Et, plus important sans doute, le message a été abondamment propagé dans l’armée du Nouveau Modèle, il est l’évangile de nombre de conseils d’officiers et de soldats et très particulièrement des porte-parole (ou agitators ) sortis du rang pour siéger dans de véritables soviets militaires hiérarchisés. Tous lisent ou commentent tracts et brochures répandus par milliers (de titres) et qu’un libraire de l’époque a su rassembler (ils constituent aujourd’hui la collection Thomason de la British Library).Effrayants aux yeux des notables qui siègent au Parlement, les niveleurs ne peuvent espérer triompher qu’avec le soutien de l’armée. C’est à son intention que John Wildman, autre «grand» du mouvement, rédige en 1647 The Heads of the Proposal (La Vraie Position de l’armée ), qui exige le droit de vote pour tous les citoyens de vingt et un ans et plus, réserve au peuple toute la souveraineté et fait de la libre élection de ses représentants le fondement de tout gouvernement légitime. Le 3 novembre 1647 est diffusée la première mouture (il y en a eu trois) d’un Agreement of the People (Accord du peuple), véritable constitution qui exige le suffrage universel, l’éligibilité pour tous, un Parlement au mandat limité à deux ans, la primauté absolue du pouvoir législatif élu, la fin de tout privilège, la tolérance religieuse. Avant publication, ce texte a été distribué à tous les participants du plus extraordinaire conclave de l’histoire révolutionnaire anglaise: le Conseil général de l’armée, réuni à Putney sous la présidence de Cromwell et de son gendre Ireton, qui discute pendant trois jours, à partir du 28 octobre, des thèses des niveleurs. Le procès-verbal qui en a été conservé permet d’y lire tous les arguments présents et à venir qui ont opposé jusqu’à l’âge démocratique les partisans des libertés pour tous sous la houlette de l’élite sociale et ceux de l’égalité totale des droits politiques. Cromwell et Ireton font pencher le vote final en faveur de la prudence.Par la suite, les niveleurs sont sévèrement contrés au sein de l’armée et privés en partie de leur possibilité d’action militante, leurs chefs connaissent à nouveau la prison et y rédigent la dernière mouture de l’Agreement of the People , charte en trente articles qui préconise le suffrage quasi universel et proportionnel, un Parlement annuel, le libre accès aux charges, l’impôt direct unique, la primauté du pouvoir civil. C’est ce texte qui, passé en France, inspire en 1653 les revendications du mouvement révolutionnaire de l’Ormée à Bordeaux. Entre 1649 et 1652, l’élan est progressivement brisé, les classes dirigeantes font confiance à Cromwell pour maîtriser la situation et créer une république «bourgeoise».Véritables épouvantails politiques et sociaux, les niveleurs connurent l’étrange destin d’être occultés par les contemporains après la Restauration et de disparaître à tout le moins de la mémoire écrite. Identifiés avec le chaos et le sang, ils deviennent un souvenir honteux jusqu’à l’époque de la Révolution française qui voit les jacobins anglais reprendre le flambeau démocratique et surtout jusqu’à l’aube de l’époque victorienne: les chartistes de 1838-1854 sont les véritables descendants spirituels et militants du mouvement niveleur.
Encyclopédie Universelle. 2012.